HISTOIRE MÉCONNUE : Le sort des recluses d’Aigues-Mortes

Il est des histoires vraies qui, malgré tous nos efforts, restent inimaginables.

Aujourd’hui, moyennant une contribution de 8 €, n’importe qui peut venir se promener sur les remparts de la ville d’Aigues-Mortes, dans le Gard (30) afin d’admirer une vue imprenable sur les marais salants de Camargue et visiter sa célèbre citadelle dominée par l’élégante Tour de Constance. Des murs qui, s’ils pouvaient parler, témoigneraient d’un passé sombre mêlant les cris de jeunes femmes en détresse au silence des années de vie perdues.

Difficile d’imaginer qu’il y a seulement 250 ans, ce joyau de l’architecture médiévale du Sud de la France était en réalité une geôle sordide pour les hérétiques : les protestants.

Il s’agissait d’une prison pour hommes, et pour femmes, condamnés à vivre la « damnation » dans des conditions de vie atroces. Confinées dans un espace de pierre (les murs faisaient 6m d’épaisseur) sans lumière, ouvert au sel et aux vents de la Méditerranée, des dizaines de malheureuses ont vécu là un véritable martyre. Entre les étés brûlants et les hivers de vent salé, elles furent nombreuses à y perdre la tête ou à périr en raison de la rudesse des conditions d’incarcération. Quels crimes avaient-elles commis ? S’être laissée séduire par les idées de la Réforme, il n’en fallait pas plus ! Privées de liberté en raison de leurs croyances religieuses, ces jeunes femmes pouvaient être condamnées, nous allons le voir, à de très lourdes peines.

DE L’HISTOIRE !

Le roi Louis IX (Saint-Louis pour les intimes) ordonna, en 1242, la construction de la Tour de Constance, haute de 33 m, pour protéger la ville d’Aigues-Mortes et son port. Les travaux ont été achevés en 1254 après le retour de la septième croisade.

400 ans plus tard, avec la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, signé par le roi Louis XIV, des mesures répressives se sont abattues sur les protestants. L’exercice du culte a été purement et simplement interdit, les pasteurs bannis et les temples détruits.

Aigues-Mortes où les idées de la Réforme avaient fait leur chemin est devenue une sorte de symbole de la lutte des catholiques contre les protestants. En effet, la Tour de Constance fut transformée en prison pour hérétiques, tous sexes confondus. En 1705, les registres font état de 33 prisonniers huguenots détenus dans la salle supérieure de la tour. Les prisonnières, quant à elles, étaient d’abord recluses au rez-de-chaussée, dans la salle des gardes. De plus en plus nombreuses, elles furent transférées dans la salle des chevaliers, plus « spacieuse ».

MARIE, 38 ANS D’INCARCÉRATION

La plus célèbre des détenues de la citadelle se prénomme Marie, Marie Durand (1711-1776). Cette jeune fille de la région a été arrêtée puis condamnée à la réclusion (à seulement 19 ans), au motif d’avoir accueilli chez elle une réunion interdite. Par ailleurs, Marie, en tant que sœur d’un pasteur, Pierre Durand, était une huguenote toute désignée pour atterrir dans la prison de la Tour de Constance. Elle a été jetée dans ce donjon en 1730. Une épreuve qui, pour elle, allait durer près de 40 ans (elle a été prisonnière pendant 38 ans, jusqu’en 1768 !)

D’après les traces écrites laissées par Gautier de Terreneuve, trente prisonnières étaient détenues dans la tour en 1746. Marie Durand et ses codétenues étaient retenues dans des conditions de détention épouvantables, dans la misère humaine, la pénombre, le froid et la promiscuité.

Pendant ses (presque) quatre décennies de détention, la seule activité de Marie Durand a été d’écrire une cinquantaine de lettres. Une correspondance adressée à sa nièce mais aussi au pasteur nîmois Paul Rabut, qui s’occupait des prisonnières. Des enchaînements de mots, comme des suppliques, pour réclamer du secours, ou pour faire part de ses remerciements aux rares bienfaiteurs qui venaient en aide aux recluses.

En hiver 1755, dans l’une de ses lettres, Marie rapporte la terrible souffrance des prisonnières :

« Nous étions sans aucune provision, excepté un peu de bois vert. Le plus que nous avions, c’était un peu de neige sur notre terrasse, sans aucun secours de personne ».

Marie

Les historiens estiment (mais sans certitude) qu’elle est l’auteur de l’inscription « Register » (« RESISTER ») découverte sur la margelle au centre de la salle. Une inscription, symbole de la résistance protestante française, que l’on peut toujours lire de nos jours.

LA FIN DU CAUCHEMAR

En janvier 1767, alors qu’il ne restait plus que quatorze prisonnières, le prince de Beauvau, Gouverneur du Languedoc, en visite dans la cité est ému par la misère des prisonnières. Par compassion, il les délivra toutes, outrepassant l’autorité royale. Marie Durand recouvra la liberté le 14 mai 1768, après trente-huit années de réclusion. Elle mourut huit ans plus tard, en Ardèche, le corps prématurément vieilli par la captivité.

Les deux dernières prisonnières, Suzanne Pagès et Marie Roux, détenues respectivement 27 et 23 ans, quittèrent définitivement leur geôle le 26 décembre 1768.

Aujourd’hui, Aigues-Mortes honore la mémoire et le courage de Marie Durand. Une rue porte son nom.