HISTOIRE D’ ♥ : Nicolas II et Alexandra : L’amour jusqu’à la fin de l’ancien monde

L’amour rend aveugle. Cette expression est généralement employée pour se moquer de quelqu’un qui ne voit pas les défauts de son amant. En ce qui concerne Nicolas II de Russie, « Nicki » et Alexandra de Hesse, « Alix », l’amour les rendra aveugles à la violence de leur monde et sourds aux menaces de mort.

Nicolas II et Alexandra de Russie sont connus pour être l’un des rares couples impériaux et royaux à s’être vraiment aimé, mis à part la Reine Victoria et le Prince Albert. Durant tout leur mariage, ils ont non seulement partagé le même lit mais également un attachement passionnel à leurs cinq enfants : Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et Alexei.

Le propos de cet article n’est pas de revenir sur le déroulement de la Révolution russe et du renversement de l’ancien monde en pleine Première Guerre mondiale, mais de mettre en lumière une histoire d’amour vraie qui mêle la « naïveté » et le faste de la haute noblesse européenne de la fin du XIXe s.

Nicki est avant tout un bon père très attaché à ses enfants et un bon époux, passionnément amoureux de sa femme. Les journaux intimes et la correspondance du couple détaillent longuement cet amour « pur ». Nikki et Alix auront pour constants compagnons l’amour et la violence. Leur amour et celui qu’il porte à leurs enfants les rendra aveugles à la violence du monde extérieur. La Révolution russe pour finir les mettra tous à mort dans un cachot de Iekaterinbourg en Sibérie en 1918.

« Des pétitions et des audiences sans fin, je n’ai pu passer que quelques minutes avec Alix. Toutes ces heures que le travail me dérobe, j’aimerai tant les passer avec elle. Je suis indiciblement heureux avec Alix. »

Nicolas

« Je n’aurai jamais pu imaginer qu’un tel bonheur existe sur Terre. Une union aussi parfaite entre deux êtres. Je t’aime, ces mots résument ma vie tout entière. »

Alix

Nicolas II n’a ni l’ambition ni l’envergure d’un grand tsar. Petit homme timide, il n’aspire qu’à une vie simple et retirée. Il n’apprécie pas les fêtes fastueuses auxquelles il est forcé d’assister et n’est jamais plus heureux qu’en petit comité avec Alix, son adorée, et leurs enfants. Malheureusement, que cela lui plaise ou non, son destin lui ordonne de régner en autocrate, sans frein et sans limite, sur l’immense Russie. Il est l’héritier d’un pouvoir que les richissimes Romanov (la famille règne sur 1/6e des terres du globe) se transmettent depuis 300 ans et qu’à son tour, il devra transmettre à son fils Alexei.

Il hérite, en 1894, d’un empire secoué par des contradictions (sociales, religieuses) explosives.

Une foule de conseillers et de serviteurs ont crée autour du couple un cocon protecteur qui les empêchent de voir ce qui passe au-dehors. Déconnectés du peuple, ils vivent, sans s’en rendre compte, dans une prison confortable et dorée.

LA POSSIBILITÉ D’UN MARIAGE D’AMOUR

Nicolas vit une jeunesse luxueuse et insouciante. Il étudie l’histoire et la littérature russe, apprend le français, l’anglais et l’allemand. Alix est une petite princesse allemande fort timide elle aussi. Orpheline depuis l’âge de 6 ans, elle est élevée à la cour d’Angleterre auprès de sa grand-mère : la reine Victoria. Sa famille la surnomme « rayon de soleil ». Nicolas l’a rencontré lors du mariage de la sœur de cette dernière. Ils ont dansé toute la soirée mais ne se reverront que trois ans plus tard, lors d’une autre union princière.

En 1891, Nicholas confie à son journal intime :

Je rêve d’épouser un jour Alix H (de Hesse). Je l’aime depuis longtemps et je crois que ce sentiment est réciproque.

En 1894, il attend une occasion favorable pour lui demander sa main. Il le fait, le 8 avril, une date soulignée de trois traits dans son journal intime. Elle accepte. Les deux tourtereaux sont transportés de joie mais chacun doit rentrer chez lui. Il retourne en Russie et elle en Angleterre.

Dès lors, ils commencent à s’échanger un flot de lettres enflammées. Alix a alors 22 ans. Le tsar Alexandre III tombe malade et meurt en octobre. Nicolas, à 26 ans, doit lui succéder alors qu’il ne se sent pas du tout prêt à monter sur le trône. Alors que la famille veille le tsar mort, Alix arrive à la hâte. Elle accepte de se convertir à l’orthodoxie, condition sine qua none pour devenir tsarine.

« Dans notre immense tristesse le Seigneur nous a donné une joie paisible ». Nicolas

En seulement 24 h, le jeune Nicolas devient Tsar de toutes les Russies et Alix prend le nom d’Alexandra Feodorovna. Un mois plus tard, ils célèbrent leur mariage.

« Notre mariage m’est apparu comme le prolongement de la liturgie funéraire du tsar, à un détail près. Je portais une robe blanche et non noire. »

Alix

NICOLAS « LE SANGUINAIRE », MALGRÉ LUI

Trois mois plus tard Alexandra est enceinte. Le couple s’installe dans le palais Alexandre, en périphérie de Saint-Pétersbourg. La grande duchesse Olga voit le jour en octobre 1895. La succession n’est pas assurée. Au printemps 1896 est organisée la très fastueuse cérémonie du couronnement impérial. Une fête qui dura plus d’une semaine.

Le 18 mai, Nicholas II organise un grand banquet, sur la colline de Khodynka, auquel il convie les habitants de Moscou. 500 000 personnes font le déplacement. Malheureusement un terrible accident va à jamais entacher la réputation du nouveau tsar. Une bousculade géante provoqua le décès de près de 1 300 personnes, mortes piétinées sans compter les estropiés à vie. Même si Nicolas II n’est en rien responsable de cette tragédie, c’est lui qui portera le blâme de la catastrophe.

Dans les cinq années suivantes, la tsarina donnera naissance à ses trois autres filles Tatiana (le petit tyran), Maria (folle des enfants) et Anastasia (la farceuse). De nature réservée et extrêmement timide, Alexandra va se couper de la haute société russe et se replier sur ses enfants. Alors que le tsar et la tsarina profitent de leur bonheur à l’écart du reste du monde, les membres de la famille Romanov commencent à subir les affronts des Bolcheviks et de leur leader Lénine, exilé en Suisse.

« 30 juillet, un jour inoubliable où le Seigneur nous a témoigné son immense bonté. A 1h de l’après-midi, Alix a donné le jour à un fils que nous avons nommé Alexei. »

Nicolas

Un bonheur qui sera de courte durée. Quelques semaines plus tard, le tsarévitch est victime d’une hémorragie incontrôlable. Le diagnostic tombe : il est hémophile. A l’époque, cette maladie réduisait de manière vertigineuse l’espérance de vie des malades qui pouvaient périr à la moindre blessure. Il était rare qu’ils atteignent l’âge adulte. C’est dans l’espoir de traiter cette maladie que l’énigmatique Raspoutine fera irruption dans l’intimité de cette famille (un destin qui fera l’objet, en son temps, d’un portrait personnalisé). Un remède qui causera plus de tort à la famille que le mal dont souffre Alexei.

Très préoccupé par la santé de leur fils, le couple ne voit pas arriver ce qui restera dans les livres d’histoire comme le dimanche noir. Le 29 janvier 1905, des manifestants marchent, pacifiquement, par milliers vers la résidence impériale afin de soumettre une pétition (réclamant des réformes politiques et notamment l’instauration d’un Parlement) au tsar. Les autorités s’affolent et tirent sur une population sans arme. L’opinion publique et la presse se déchaînent sur le tsar surnommé Nicolas le Sanguinaire.

« Seigneur, que tout cela est douloureux et triste »

Nicolas

Par ailleurs mal conseillé, Nicolas lance une guerre désastreuse contre le Japon, attisant toujours plus de haine à son égard. La réputation du tsar sombre avec sa flotte à Tsushima. Les grèves et les scènes d’insurrections se multiplient à travers toute la Russie. La Révolution est en marche.

Nicolas accepte de signer un manifeste constitutionnel qui garanti les libertés publiques et l’élection d’une assemblée élue au suffrage universel. En avril 1906, Nicolas et Alix assistent à l’inauguration de la première Douma. C’est un pas énorme qui remet en cause trois cents ans de tradition autocratique et pourtant, aux yeux des révolutionnaires, c’est insuffisant. Les Bolcheviks ne s’en sont jamais caché. Ils ne seront satisfaits que le jour de leur mort.

Quelques mois plus tard, le premier ministre Piotr Stolypine est assassiné sous les yeux de Nicolas et ceux de ses filles Olga et Tatiana, lors d’une représentation à l’opéra de Kiev.

« Les filles ont tant pleuré »

Nicolas

LE MARTYRE DES ROMANOV ? ACHEVÉS À LA BAÏONNETTE

Les années qui ont suivi ont été une longue descente aux enfers pour Nicki et Alix, qui sombra peu à peu dans une addiction profonde aux opiacés. Recluse et sous la coupe de Raspoutine, Alix s’enfonce. Malgré toutes les rumeurs d’infidélité qui entourèrent Alix et son conseiller, Nicolas II défendra toujours l’honneur de sa femme en qui il place toute sa confiance. Chaque été, le grand bonheur du tsar est de se transformer en Nicki et d’emmener toute la famille en vacances, en Crimée, au bord de la mer. Ces quelques jours de repos sont des parenthèses enchantées pendant lesquelles, il peut faire mine de n’avoir aucun souci.

Pourtant il en a. A tel point qu’il est forcé à faire l’impensable. Il abdique en 1917.

La famille est retenue prisonnière, d’abord à Tobolsk (Sibérie occidentale) puis à partir d’avril 1918 dans « la maison à destination spéciale » d’Ekaterinbourg au fin fond de la Sibérie orientale. Séquestrés, surveillés en permanence et affamés, les enfants et les parents souffrent.

« Depuis quelques jours, nous recevons du beurre, du café, des gâteaux secs et de la confiture de la part de braves gens qui ont appris à quel point nous avions dû comprimer nos dépenses de nourriture »

Nicolas

Après avoir vécu, toutes leurs vies, une vie de château les voici prisonniers. Sous la domination de gardiens fanatisés aussi violents qu’ivres, ils n’adressent la parole à l’ancien monarque qu’en le traitant de « buveur de sang ». Le logement du commandant et de dix autres gardes se situe à l’étage réservé à la famille impériale. La famille est victime d’incessants quolibets de la part des gardes, de plaisanteries douteuses à l’encontre des jeunes grandes-duchesses. Les geôliers volent tout ce qu’ils peuvent, dont les provisions destinées à l’ancien tsar et ses proches. Aucune intimité n’est possible pour les membres de la famille qui sont dans l’obligation de partager cette maison sale et sans aucun confort avec leurs gardes.

« Au fond, je suis déjà mort… mort mais pas encore enterré »,

écrit Nicolas dans une lettre adressée à un ami deux jours avant sa mort.

La dernière nuit de la famille fut particulièrement cruelle. Le 16 juillet 1918, le commandant Iourovski donna l’ordre de réveiller Alix et Nicki endormis en leur faisant croire à un transfert imminent. L’ordre d’exécuter la famille était en fait donné. Obéissants comme ils avaient appris à l’être pendant cette année de détention, Nicolas, Alexandra, Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et Alexei descendirent jusqu’au sous-sol de la maison. Tous furent fusillés dans le plus grand chaos. Les enfants mirent longtemps à mourir surtout les filles. Elles avaient dissimulé des joyaux dans le revers de leurs corsets. Ainsi, les balles ne cessaient de ricocher. Les bourreaux les achevèrent à la baïonnette.

C’est ainsi que pris fin cette histoire d’amour qui avait pourtant, sur le papier, tout pour être belle.


Sources : (liste non exhaustive)

Livres

  • NICOLAS II, Journal intime, tome 1 (1890-1907), Payot, 1925.
  • NICOLAS II, Journal intime, tome 2 (1914-1918), Payot, 1934.
  • DES CARS, Jean, Nicolas II et Alexandra de Russie, Une tragédie impériale, Perrin, 2015.

Documentaires

  • Les derniers tsars, 6 épisodes, Netflix, 2020.
  • Secrets d’Histoire, La mort des Romanov, France 2, 2008.