Ces épidémies oubliées
« On n’aurait jamais pensé vivre ça un jour »
« On a connu la guerre, mais ça, jamais »
« Ça restera marqué dans l’Histoire »
« Ça changera à jamais notre façon de vivre »
Depuis la crise sanitaire du Covid-19, plus connu sous le nom de coronavirus, voilà des phrases que l’on ne cesse d’entendre. Mais sont-elles seulement vraies ? Cet épisode historique, cette « guerre sanitaire », comme l’a appelée notre Président de la République Emmanuel Macron avec insistance, est-elle une première dans l’histoire de l’Humanité ? Une épidémie de cette ampleur n’a-t-elle jamais eu lieu dans le monde ? Vit-on actuellement le pire désastre sanitaire depuis un siècle, comme on nous le laisse entendre ? Voilà des questions que l’on s’est posées. Nous avons fouillé un peu et découvert plusieurs épidémies d’ampleur similaire dont on ne parle plus, ou que très peu, aujourd’hui.
La grippe espagnole de 1918
La plus importante remonte à 1918. Il y a plus de 100 ans eut en effet lieu l’épidémie la plus meurtrière du XXe siècle : la grippe espagnole. Seulement quelques mois après la Première Guerre mondiale, elle décima jusqu’à 50 millions de personnes en peu de temps, suite à des symptômes grippaux ou des surinfections bactériennes. Selon Michael Worobey, professeur de biologie à l’Université d’Arizona, le virus serait né de la combinaison d’une souche humaine (H1), provenant de la grippe saisonnière H1N8, en circulation entre 1900 et 1917, avec des gènes aviaires de type N1. Si on l’a surnommée « grippe espagnole », ce n’est pas parce que l’Espagne était le foyer originel du virus mais parce que l’Espagne fut le premier pays à le mentionner publiquement. Certains pensent que l’épidémie est d’abord apparue au Kansas, où elle aurait contaminé de jeunes soldats américains, ensuite venus en Europe en 1917 en renfort pour aider la Triple Entente dans la guerre…
La grippe asiatique de 1957
La « grippe asiatique », comme on l’appelle, remonte à 1957 et trouve quant à elle son origine en Chine. Le virus A/H2N2 (provoquant fièvre et pneumonie) a d’abord frappé les provinces de Guizhou et du Yunnan en Chine fin 1956, avant de faire le tour du monde et d’atteindre l’Europe. Sur les 2 millions de morts recensés au total par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il y en a eu 100 000 aux États-Unis et entre 25 000 et 100 000 en France. Les principales victimes ? Les diabétiques, les cardiaques, les adolescents et les femmes enceintes en fin de grossesse. Mais, si la situation semble similaire à ce que nous sommes en train de vivre, les mesures mises en place en France pour endiguer l’épidémie ne le sont aucunement. Aucun confinement, aucune fermeture des écoles, ni aucune fermeture des frontières n’ont en effet été décidés.
La grippe de Hong-Kong de 1968
10 ans plus tard, ce fut au tour de la grippe de Hong-Kong, en 1968, de faire des ravages. Il y a 52 ans, le virus A/H3N2 frappait la Chine centrale, avant d’être rapporté aux Etats-Unis par des soldats américains stationnés au Vietnam et de se propager dans le monde entier. Au total, ce virus aurait fait un million de victimes, dont 50 000 aux Etats-Unis en seulement 3 mois et plus de 31 000 en France en 2 mois (décembre 69 et janvier 70). Si les hôpitaux ont du mal à faire face, si les salles de réanimation sont submergées, si le pays tourne au ralenti (fermeture des écoles par manque de professeurs, trains à l’arrêt par manque de conducteurs malades…), la grippe est minimisée par les politiques et les médias, alors que le spectre de mai 68 plane encore. Pourtant, le nombre de morts causés par une hémorragie pulmonaire ou un étouffement augmente à une vitesse incontrôlable…
Dans un article de Libération paru en 2005, le professeur Pierre Dellamonica, ancien chef du service d’infectiologie du centre hospitalo-universitaire de Nice confiait sa détresse face à cette situation :
« On n’avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir. Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à quinze jours, et puis ça s’est calmé. Et étrangement, on a oublié ».
L’oubli, meilleur allié ou pire ennemi ?
Comment expliquer alors que ces épisodes de l’Histoire aient été oubliés de la mémoire collective ? Est-ce que, comme notre inconscient l’aurait fait en cas de traumatisme, l’Humanité a décidé de les refouler ? Les médias, les politiciens et autres acteurs de ce monde ont-ils volontairement voulu faire oublier ces tristes moments ou ont-ils involontairement préféré mettre en avant les aspects positifs et se tourner vers l’avenir ? Outre le cas particulier de la grippe espagnole, éclipsée des mémoires collectives par la Première Guerre mondiale, on ne peut s’empêcher de penser que les deux options sont envisageables pour les autres épidémies, ce qui est à la fois louable et dommage. Louable, parce que ne pas s’accabler et penser au futur est la bonne attitude à avoir. Dommage parce qu’avoir ces épidémies à l’esprit aurait peut-être permis de mieux gérer celle que nous traversons aujourd’hui. Reste à savoir si la pandémie de coronavirus dont on entend parler quotidiennement sera elle aussi effacée des esprits d’ici 50 ans…
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Sources :
Les mémoires oubliées du coronavirus, par Bernard-Henri Lévy
Rédigé par : Marion Poulle