Les bienfaits de l’Oubli

« Raté » de notre cerveau, le mécanisme de l’oubli est pourtant nécessaire à notre bonne santé mentale. Découvrez les mécanismes de l’oubli et ses vertus.

« J’ai souvent écrit que l’oubli était plus important que la mémoire. J’ai souvent songé que celui qui oublie jouit plus que celui qui se souvient. » Ces mots ne sont pas les miens, mais ceux du réalisateur et scénariste argentin Santiago Amigorena dans Le ghetto intérieur, son dernier livre paru en 2019.

Alors que l’isolement généralisé, imposé par l’épidémie de Covid-19, dure depuis deux mois maintenant, comme sans doute beaucoup parmi vous, je réfléchis… Trop sans doute, mais toujours est-il que des questionnements, presque philosophiques, m’assaillent depuis des semaines. Alors que je me consacre depuis des années, maintenant, à la conservation de souvenirs à travers mon activité de biographe pour inconnu, je me demande :

A-t-on « oublié » qu’oublier est une nécessité vitale pour espérer vivre des jours heureux ?

L’oubli a toujours résonné en moi comme un gros mot ? « J’ai oublié un rendez-vous. J’ai oublié d’exécuter une tâche, j’ai oublié un prénom, j’ai oublié mon téléphone, etc. » sont généralement suivi chez moi d’une attaque mentale sauvage de mon ego qui ajoute, « mais quelle c****. »

Oublier quelque chose est, pour moi, occidentale vivant au cœur d’une société de la performance, un aveu d’échec, un aveu de ma propre limitation intellectuelle, de mon incapacité à faire tout bien, tout le temps, comme tout le monde.

Un cerveau de 2020, un espace saturé

Surtout, ce qui m’inquiète, c’est la rapidité à laquelle je suis capable d’oublier les détails de ce qui m’est arrivé, des choses que j’ai faites, des discussions que j’ai eues. Je constate régulièrement, dans le cadre de mon travail, à quel point mes clients conservent des souvenirs précis des dates et des événements qu’ils me racontent alors même que ceux-ci se sont déroulés soixante ans, parfois soixante-dix-ans plus tôt. Le souvenir d’avoir allumé pour la première fois une lampe à pétrole, l’odeur des étables à l’heure de la traite, le temps qu’il faisait lors d’un premier voyage à Paris, etc. Autant de détails qui donnent justement de la vie à leurs récits de vie. Tous ont connu l’ « ancien temps », l’époque où on le laissait encore s’écouler au rythme du soleil et de la nuit. Ce qui sortait de l’ordinaire était suffisamment rare pour marquer les gens toute leur vie.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment que la mienne se déroule dans une tension permanente, dans la précipitation. À tel point, à mon sens, qu’il y a tellement de choses à penser, que mon disque dur intérieur est saturé, en permanence. Il m’empêche quelques fois d’enregistrer mon histoire personnelle, dans ma mémoire émotionnelle celle où demeurent mes plus beaux souvenirs. Je sens que je dois libérer de l’espace mental pour un équilibre plus sain.

Libérer de l’espace mental pour un équilibre sain

Dans ma vision globale des choses, l’oubli a une connotation négative. Il est associé à un défaut cérébral, à une limitation de l’esprit. Je crois que je suis loin d’être la seule à fonctionner ainsi.

En effet, nous pouvons tous facilement nous souvenir (ou peut-être pas, du coup) de la dernière fois où nous avons oublié quelque chose au sein d’une conversation et ô combien cela nous a agacés. Si bien que nous autres humains, avons imaginé tout un tas de stratégies cognitives, développé des technologies de stockage de données pour ne surtout, SURTOUT rien oublier, jamais.

Cependant, l’oubli possède des vertus nécessaires au fonctionnement cérébral humain.

Les processus de l’oubli

L’oubli survient lors de l’encodage cérébral de l’information, au moment où nos neurones créent des interconnexions synaptiques, des chemins d’accès aux souvenirs. Lorsque l’attention, pour différentes raisons, se porte sur certains détails plutôt que d’autres, le cerveau enregistre une nouvelle information partielle.

Selon notre disponibilité et notre capacité d’attention, l’espace mental dont nous disposons au moment m, peut être particulièrement exigu. Par ailleurs, si l’information est contradictoire notre cerveau ne parvient pas à la traiter convenablement.

Si l’oubli peut prendre racine dès l’enregistrement d’un souvenir, il n’est pas rare non plus qu’une information déjà stockée, soit oubliée.

Plusieurs théories s’affrontent sur le sujet :

• Du côté de la neurobiologie, on parle de décomposition des souvenirs. Elle peut-être due à la mort de certains neurones ou de certaines connexions au sein du cerveau.

Elle est à l’origine de pathologies graves comme la maladie d’Alzheimer ou la démence sénile.

• En psychologie cognitive, règne la théorie des interférences. Elle avance l’hypothèse que nos expériences, d’un point de vue cérébral, se font concurrence, ce qui induit une dissonance entre nos apprentissages antérieurs et les nouveaux. Nous devons réévaluer nos souvenirs et nos connaissances.

La nécessité de l’oubli : les trois agents et les sept vertus

Jonathan Fawcett et Justin Hulbert, les auteurs d’un article publié dans The Journal of Applied Research in Memory and Cognition ont résumé la nécessité de l’oubli pour notre santé en trois agents et en sept vertus.

Chaque agent conférant un nombre donné de vertus.

  • « Le gardien » : il se charge de maintenir l’ordre de notre « sérénité » et de notre « stabilité ». Grâce à lui, nous évitons au maximum de recroiser la route de certaines conséquences émotionnelles d’événements passés. Il les rend inaccessibles en affaiblissant leurs propriétés émotionnelles. C’est ce mécanisme qui facilite le pardon, en nous aidant à aller au-delà des attitudes négatives des autres et à nous motiver dans l’adversité.
  • « Le libraire » : il est en charge de conserver notre « clarté » et nos « capacités de révision et d’abstraction ». Il fait en sorte que nous nous se débarrassions des menus détails trop encombrants et qui seront probablement inutiles à l’avenir. Il nous permet de réévaluer nos expériences et nos souvenirs avec de nouvelles informations pour maximiser leur pertinence et atténuer leur concurrence. Il coordonne notre « digestion mentale » au cours de laquelle tout un tas de détails spécifiques, mais jugés sans importance sont perdus. Cette assimilation permet à des similitudes d’apparaître, via des expériences similaires, et de former une base de connaissances générale.
  • « L’inventeur » : il se préoccupe de préserver notre « inspiration » et notre « capacité à redécouvrir ». Il rejette « les idées préconçues » et les fixettes sur le passé, en nous permettant d’imaginer des solutions originales à de nouveaux problèmes. Il nous permet également de renouer avec des activités ou des personnes appartenant à notre passé et de ce fait, donner une seconde chance à tout ce qui nous importe vraiment.

Les vertus de l’oubli

En général, on considère qu’une bonne mémoire est celle qui permet de retenir de nombreuses informations sur une longue période.

Pourtant, l’oubli est un élément essentiel à l’intelligence humaine, car il permet de se concentrer sur ce qui est important. Une mémoire efficace, je crois, ne doit pas se concevoir comme une simple accumulation de données conservées sur une période plus ou moins longue mais plutôt comme un filtre qui ne garde que le nécessaire pour rendre ce souvenir utile et plaisant à l’avenir.

En neurobiologie, ces problèmes révèlent souvent des pathologies. Mais l’oubli reste indispensable au bon fonctionnement du cerveau. Notre organe central ne fait pas que du stockage de données, il fait aussi son maximum pour les effacer. Il évacue les détails non pertinents et se concentre plutôt sur les choses qui vont aider à prendre des décisions dans le monde réel.

Ainsi, le but de la mémoire n’est pas de stocker et de retransmettre l’information la plus exacte possible, mais plutôt d’optimiser nos ressources pour l’avenir.

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