PORTRAIT : Dr. Eugène Koeberlé, l’homme qui eu l’idée de se laver les mains avant tout le monde

« Lavez-vous les mains autant que possible », depuis plus d’une semaine, ce message est martelé avec force par le gouvernement, les médias, les médecins des quatre coins du monde à l’attention de la population européenne et mondiale pour lutter contre la propagation du virus Covid-19.

La pénurie de gel hydroalcoolique inquiète et pour cause, cette solution est depuis plus d’un siècle l’un des produits incontournable d’une pratique « sécurisée » de la médecine moderne.

Après avoir tiré le portrait de Gainsbourg, un chanteur de paradoxes, je vous propose aujourd’hui, le portrait d’un homme qui a compris l’importance de l’asepsie dès 1862, notamment dans les blocs opératoires, avant tous les autres : le docteur et professeur Eugène Koeberlé.

L’asepsie consiste à empêcher la contamination d’une zone ou d’une surface par des micro-organismes étrangers (bactéries, virus, parasites…). Elle résulte de l’idée que chaque personne porteuse d’un germe pathogène est capable de le transmettre à une autre personne.

Modestie et simplicité, les qualités des grands hommes

En 2020, ce nom n’inspire plus grand-chose à qui que ce soit, à part peut-être aux spécialistes de l’histoire de la médecine ou aux milliers de lycéens (dont j’ai fais partie) qui ont fréquenté les bancs du lycée général qui porte son nom à Sélestat (Grand Est), actuellement très touchée par la pandémie mondiale. Étrangement, ce n’est pas à cette époque que j’ai appris à le connaître. Aucun de mes professeurs n’a jamais pris la peine de m’expliquer ainsi qu’à ma classe, qui était ce grand homme.

Pourtant, sans lui, sans ses recherches effrénées sur la morbidité chirurgicale, nous aurions progressé sur cette question bien plus lentement. Bien entendu, il n’a pas été le seul à travailler sur ce sujet au XIXe s. Les noms de Joseph Lister, de Louis Pasteur, dont il s’est inspiré, sont davantage connu du grand public que le sien.

Peut-être est-ce un tort ou simplement le résultat de sa volonté. En effet, les sources historiques, au-delà de ses faits d’armes médicaux, rapportent également son extrême modestie. Célébré de son vivant pour ses triomphes et premières en chirurgie abdominale et surtout gynécologique (hystérectomie en cas de tumeur, ovariectomie, myomectomie), il a toujours détesté être mis en avant. En témoigne son attitude lors d’une fête organisée en son honneur le 3 juin 1912 à Strasbourg, rapportée par la Revue alsacienne.

Ce jour-là était célébrer les 50 ans de sa première ovariectomie, une première mondiale ! Rougissant, balbutiant ses remerciements, il était extrêmement mal-à-l’aise d’être ainsi mis en avant. Pourtant, depuis des décennies, il était une super star dans le milieu des étudiants en médecine. Ils venaient par dizaine assister à ses interventions à la clinique de la Toussaint de Strasbourg, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, des États-Unis et même du Japon à une époque où ces périples prenaient des semaines.

Un visionnaire français

Au début du XIXe s., en matière de médecine, tout ou presque restait à faire, à inventer. Les techniques médicales, encore rudimentaires, ne demandaient qu’à être affinées et développées.

Le 4 janvier 1828, Eugène Koeberlé vient au monde dans une famille de bourgeois alsaciens établie à Sélestat (67-Bas-Rhin), alors française. Dès l’enfance, il montre de grandes aptitudes intellectuelles et surtout une curiosité extrême pour la marche du monde. Sa mère, Catherine Kretz, laissa par écrit une anecdote concernant son fils.

 » Alors que tous deux se promenaient dans les environs de Sélestat, ils tombèrent sur une vieille scierie. Fasciné, le petit garçon resta un long moment à observer le mécanisme d’une scie à troncs. De retour chez lui, il s’est mis au travail, créant en quelques jours le même mécanisme, en miniature. »

C’est sans doute son goût pour la découverte et le progrès qui l’a poussé à révolutionner la chirurgie bien des années plus tard.

Il a mis au point et définit deux procédés toujours utilisé de nos jours : l’hémostase et l’asepsie, qu’il a systématisé vingt-cinq ans avant qu’elle ne devienne l’usage, et sans passer par le détour de l’antisepsie listérienne.

Pionnier de la chirurgie abdominale et inventeur d’instruments

Bachelier en 1846, il s’oriente d’abord vers la chimie et la physique puis vers le droit. Finalement, deux ans plus tard, il choisit la médecine, qu’il étudie à la Faculté de Strasbourg.

En 1849, il rencontre Louis Pasteur, venu dans la capitale alsacienne pour tenter d’endiguer l’épidémie de choléra qui décimait la population locale. Cinq ans plus tard, lorsque le bacille mortel refit surface, Eugène Koeberlé sauva des centaines de Strasbourgeois en leur perfusant des litres de sang, dont il organisa également la collecte.

Étudiant brillant, il est agrégé de chirurgie en 1855 et devient, dans la foulée, chef des travaux du département d’anatomie de l’université de médecine de Strasbourg.

Le 3 juin 1862, après des semaines de préparation, Eugène Koeberlé et son équipe procédèrent à l’ablation d’un kyste ovarien. La patiente se réveille et se remet. Une victoire exceptionnelle ! Elle fit, à l’époque, la Une de la presse médicale. Galvanisé par ce succès, il met au point d’autres protocoles chirurgicaux : celui de l’hystérectomie* et de la myomectomie* sur des bases et faits scientifiques. En 1863, il fut également le premier chirurgien à opérer une grossesse extra-utérine avec enfant vivant.

* voir glossaire

Le docteur Koeberlé doit ses succès opératoires notamment à son obsession de la « propreté » dans son bloc. Avant tout le monde, il fait désinfecter le matériel, chacun de ses instruments et se lave frénétiquement les mains, car il a l’intuition que cette hygiène évitera à ses patients des conséquences post opératoires catastrophiques.

Revue médicale de l’Est, la pince hémostatique Koeberlé, 1912.

Au cours de sa carrière, il a mis au point une panoplie impressionnante d’instruments de chirurgie dont la célébrissime pince hémostatique à cliquet, qui sert toujours aujourd’hui à stopper les hémorragies. Enfin, il innova dans les soins pré et post-opératoires, en généralisant par exemple, le drainage abdominal, etc.

Avant lui, accepter de se faire opérer était presque à coup sûr une opération kamikaze. Après lui, une chance d’être sauvé !

J’ai choisi de dresser le portrait de ce personnage aujourd’hui afin de rendre à César ce qui est à César. Nous avons tous conscience, au XXIe s. de la nécessité de se laver les mains pour éviter d’être contaminé par un virus, au point d’assister ces derniers jours à des scènes de ruée sur le stock national de gel hydroalcoolique.

D’où nous vient cette certitude scientifique mondialement admise ? De chercheurs tels que lui !

RAPPEL IMPORTANT

Lavez-vous les mains plusieurs fois par jour et même si vous êtes confinés seuls chez vous.

GLOSSAIRE (via Dictionnaire Larousse)

  • asepsie : absence de germes microbiens susceptibles de causer une infection.
  • antisepsie : ensemble des procédés employés pour lutter contre l’infection microbienne de surface.
  • hémostase : arrêt de l’écoulement du sang, spontané (coagulation du sang) ou provoqué par différents moyens médicaux ou chirurgicaux.
  • hystérectomie : l’ablation de l’utérus.
  • myomectomie : ablation de fibromes utérins.

Source :

Les Dernières nouvelles d’Alsace, Koeberlé, pionnier de la chirurgie abdominale, 18 avril 2010.

PICHEVIN Roland, Revue alsacienne, « Le Docteur Koeberlé et son œuvre », Bibliothèque inter-universitaire de Santé, 1914.