La GENTILLESSE désintéressée, une valeur en voie d’extinction ?
« Être gentil, c’est être con, faible, dépourvu de caractère, c’est tendre le bâton pour se faire battre ».
Dans le monde dans lequel je vis, j’ai l’impression que plus les jours passent plus ils relèguent la gentillesse désintéressée au rang des valeurs perdues, celles qui datent d’un autre siècle. J’ai le sentiment qu’elle est de plus en plus perçue avec condescendance et méfiance. Les gens n’y croient plus. Et la gentillesse n’est pas toujours remerciée, elle n’a donc pas d’intérêt, entends-je.
Pourtant certains s’obstinent, semant çà et là des petites graines qui ne germeront peut-être jamais.
Je prépare cet article de rentrée depuis plusieurs semaines. J’ai décidé que pour fêter cette nouvelle année (et oui, j’ai été si conditionnée par mes années scolaires que, à 33 ans, pour moi l’année commence toujours en septembre), je m’offrirais sur ce blog des plages de réflexions « philosophiques » (c’est un bien grand mot), « existentielles », fruits de mes propres réflexions, mais pas que… Je ne sais pas si quelqu’un les lira, mais je dois admettre que je m’en fiche un peu. Je me suis dit que j’allais commencer par un sujet sympa, bienveillant : la gentillesse. Qui n’aime pas ça ? La gentillesse, c’est bien. C’est l’une des valeurs fondamentales que les parents tentent d’inculquer à leurs enfants. Dans la vie, il faut être gentil. Vraiment ?
Pour illustrer cet article, j’ai récolté le point de vue et le ressenti de certains de mes proches. Le mois de septembre s’achève demain, à l’heure où j’écris enfin ces lignes. Il est très grand temps pour moi de mettre en mots le fruit de mes modestes cogitations et de celles que j’ai glané par-ci par-là.
Trop bon, trop con
Mon éducation journalistique (et pas philosophique hein !) me pousse à me poser d’emblée une autre question : sous quel angle souhaites-tu aborder ton article ? C’est très important l’angle, il donnera le ton, le fil conducteur de la réflexion. Lorsque j’ai commencé à réfléchir à la question : la gentillesse existe-t-elle ?, je suis partie avec un parti pris de Bisounours. « Oui bien sur ! » Je me suis donc posée avec un cahier et un stylo. Qu’est-ce que ce sujet m’évoque ? La seule chose qui m’est venue à l’esprit, c’est une expression, que dis-je un dicton français que tout le monde connaît et qui dit : « trop bon, trop con ». Si j’avais reçu 1 € à chaque fois que j’ai entendu cette phrase, je pourrais sans doute m’offrir un beau voilier et partir autour du monde. Si on décompose cet adage, il ne suggère rien de bon. Être (trop) gentil, c’est être considéré comme stupide à l’extrême. Il y aurait donc dans l’esprit français une limite à la gentillesse que seuls les esprits évolués saurait placer. Pourtant, ils gardent jalousement ce secret.
Il y a quelques jours, j’ai assisté à une scène troublante. L’univers m’offrait la possibilité d’assister à une manifestation concrète de cette mentalité, à mon humble avis, hautement toxique.
J’étais à table, entourée de proches. L’un des convives que je qualifierais (selon ma propre échelle de valeur) comme quelqu’un de bon, qui a le « cœur sur la main », était interrogé sur les suites de sa dernière béat en date : après avoir découvert l’une de ses anciennes connaissances à la rue, il lui a offert un travail et trouvé un hébergement gratuit temporaire afin qu’il puisse se « refaire ». Pendant trois mois, le charme a opéré, le gars reprenait du poil de la bête. Tandis que son bienfaiteur préparait avec son comptable un contrat en CDI pour ce bonhomme, voici que ce dernier lui coupe l’herbe sous le pied. Finalement, travailler sous ses ordres ne lui plaît pas. Ce qu’il souhaite, lui, c’est « monter sa boîte ».
L’ ego reboosté, il a fini par se barrer MAIS sans un merci. Mon ami était déçu de son impolitesse mais pas rancunier, juste triste de constater que son volontarisme bienveillant ne soit pas un minimum reconnu par son bénéficiaire. Ce n’est pas ce que je retiens de cette soirée. Il me reste davantage en mémoire la réaction des invités qui participaient à l’échange. Certains y allaient de leur petit jugement à l’égard du bienfaiteur et non sur le manque de savoir-vivre du gars ! J’étais stupéfaite !
Unanimement, il était dit :
Réflexion n°1 « J’espère que tu as compris la leçon maintenant. Tu ne dois pas être trop gentil. »
Ainsi, j’apprends que vouloir aider quelqu’un qu’on a connu et qui vit dans la rue, c’est donc « trop ». Agir de manière efficace pour quelqu’un, c’est trop. Il aurait donc mieux valu lui jeter un simple regard, peut-être les quelques pièces qui traînent au fond de sa poche et passer son chemin ? Apparemment oui !
Réflexion n°2 « Tu dois arrêter de faire confiance comme ça ! On ne sait pas comment sont les gens qu’on ne connaît pas vraiment ».
Sans blague ! Mieux vaut donc, selon ces personnes, ne JAMAIS accorder sa confiance à un inconnu, car il est a priori un connard égocentrique. C’est à 99,9 % certain ! La gentillesse ne serait porteuse que vis-à-vis des personnes que l’on connaît déjà très intimement. Quelle tristesse.
Le Bisounours en moi était sous le choc. Ce que je comprenais, avec mon propre filtre émotionnel, était que grâce à sa gentillesse, le type en question a retrouvé courage, confiance, énergie et ambition. En soi, cet acte de gentillesse désintéressée a été payante. Au lieu de le fustiger, j’avais envie de l’encourager. Sa bienveillance, à mon sens, fait du bien au monde. Ricanement général, j’étais seule sur ce coup. Résultat, cet ami a fait preuve d’un altruisme remarquable et ce soir-là, il s’est senti jugé négativement, traité comme l’idiot du village. Depuis, je rumine autour de la même question : « Si les gens, en majorité, pensent comme ça, où va-t-on, où va le monde ? Ont-ils raison ? Suis-je moi-même totalement débile ? »
La gentillesse désintéressée, qu’est-ce que c’est ?
Je réfléchis depuis des jours à ma propre définition de la gentillesse. J’avoue que je rame, j’ai beaucoup de mal à trancher. Un des rares point de définition dont je suis à peu près certaine, c’est que la gentillesse désintéressée est un état d’être : on est gentil ou on ne l’est pas.
Chacun de nous, autant que nous sommes avons notre propre idée de ce qu’elle évoque pour nous. Tout le monde, quelque part s’estime gentil. Je suppose que les personnes qui se regardent dans la glace en se disant, « je suis intrinsèquement méchante » sont rares. Nous plaçons tous le curseur de la valeur gentillesse à un niveau qui nous appartient. Notre échelle intime de la gentillesse.
Après quelques recherches sur la question, j’ai découvert que selon une étude parue dans le magasine Psychologies, pour 55% des Français, être gentil est avant tout être attentionné. C’est par exemple, sourire à un inconnu, donner de l’argent aux personnes qui mendient dans la rue, aider quelqu’un qui est tombé à se relever, ou encore écouter les consignes de son papa et de sa maman, répond ma nièce de quatre ans et demi.
« Vous rappelez-vous avoir bénéficié de la gentillesse désintéressée de quelqu’un ? »
Après tout le cheminement exposé précédemment, au final, j’ai décidé d’aborder cet article sous l’angle de départ. Oui, la gentillesse gratuite existe et fait du bien. Certaines personnes en sont sincèrement capables. Tout le monde n’agit pas par intérêt. Simplement, tout le monde n’est pas capable de reconnaître et de recevoir la gentillesse. Il s’agit d’un apprentissage.
J’ai ainsi mis mes proches (amis, famille, clients) à contribution en leur posant une question simple :
« Vous rappelez-vous avoir bénéficié de la gentillesse désintéressée de quelqu’un ? »
Témoignage n°1 Ma mère
« Je dirais que c’est plutôt le contraire, mais je réfléchis. La seule anecdote qui me vient à l’esprit remonte à l’année 1972. Je venais d’avoir 18 ans et mon amie B. m’invita à l’accompagner en Italie où ses parents l’envoyaient passer l’été. J’avais épuisé toutes mes économies dans mon billet de train et la location d’une chambre à Cattolica. Comme tu le sais, dans ma famille, nous n’avions jamais de sou et je commençais à peine à travailler. Ma valise était très vite faite. Je n’avais qu’une robe et la jupe que je portais. Ma sœur, qui vivait à Mulhouse, profita de l’arrêt de mon train en gare pour m’apporter trois jolies robes qu’elle m’avait cousu dans le plus grand secret. Je les revois devant mes yeux. Il y en avait une parme à motifs fleuris et une verte avec de jolies bretelles qui se fermait par devant. Je crois les voir devant mes yeux. C’est la chose la plus gentille que quelqu’un ait fait pour moi. Jamais je ne l’oublierais ».
Ainsi, cet acte de gentillesse désintéressée est pour ma mère un souvenir mémorable, car extrêmement rare, à l’en croire. Cette anecdote, tout à fait conforme à la question, valide et conforte l’une des réflexions des convives pré-citées. La gentillesse viendrait, en premier chef, des personnes que l’on connaît déjà très intimement.
Et les autres alors ?
Témoignage n°2 Mon amie A.
Au cours d’un déjeuner, je lui ai posé à brûle-pourpoint la question. Elle a longuement réfléchi.
« Je ne sais pas trop. Ça me parle, mais rien ne me vient. Ah si ! J’ai quelque chose, mais ça concerne mon père. Un jour, il y a quelques mois, tandis qu’il rangeait ses courses dans sa voiture, il a oublié son porte-feuille sur le toit de son véhicule. Il a démarré et ne s’est rendu compte de son oubli que des heures plus tard. Peu confiant en la gentillesse humaine, persuadé qu’il ne reverrait jamais son porte-feuille qu’il venait de remplir d’argent liquide, il a entamé, à la hâte, les démarches d’opposition à sa carte bancaire, de déclaration de perte de carte d’identité, permis de conduire, etc. Soudain, le téléphone sonne. C’est un ami, dont il conservait la carte pro dans son portefeuille qui l’appelait depuis l’étranger. « Je viens de recevoir un coup de fil de quelqu’un qui a trouvé ton porte-feuille ». Finalement, un monsieur honnête et gentil est allé jusqu’à lui ramené son porte-feuille au contenu parfaitement intact. Ah ! Voilà une belle histoire. Comme dirait Jean-Marc Généreux, « J’achète ».
Plus tard, elle m’a envoyé un texto me rappelant le bon souvenir de notre voisin de jardin. Mais oui, comment n’y ai-je pas pensé ! En effet, elle et moi partageons un jardin communautaire à Strasbourg. Lorsque nous avons « acquis » la parcelle, il y a trois ans, nous étions des novices un peu dépassées par la surface à exploiter. Notre voisin, un charmant retraité nous a alors énormément aidé. Il nous offrit des plants de tomates, de courgettes. Il nous aida à réparer notre pompe à eau, partagea avec nous une recette turque à base de fleurs de courgette. Je profite de cette tribune pour rendre hommage à son extrême gentillesse, car malheureusement infecté par la Covid-19, il n’a pas survécu.
Témoignage n°3 Moi-même
J’ai la chance de travailler depuis plusieurs semaines à la rédaction du récit de vie d’une dame que je découvre à chacune de nos séances de plus en plus bienveillante, généreuse, gentille. À chacune de nos rencontres, elle m’accueille avec une tasse de café, une part de tarte aux mirabelles ou de gâteau aux noix qu’elle a préparé tout spécialement. Elle me raconte sa passion pour le tricot, pour la création de pâtisserie, de confiture et de sucreries à partir des fruits de son jardin. Elle me « force » à repartir avec des échantillons de ses créations. Déontologiquement parlant, je ne suis partisane des cadeaux. Je ne fais pas ça pour ça. J’ai tenté de refuser, mais à la vue de sa mine déconfite, perplexe face à ma réaction, j’ai finalement accepté. Être gentil ou bénéficier d’un acte de gentillesse, ça fait du bien. La gentillesse est aussi bénéfique pour celui qui la répand que pour celui qui la reçoit.
La gentillesse permet de s’épanouir. Elle aurait même des effets bénéfiques sur la santé, selon le moine bouddhiste Matthieu Ricard, auteur d’un Plaidoyer pour l’altruisme. « Les gens qui font du bénévolat, un lien social riche ont une longévité accrue », fait-il valoir.
Pour vivre vieux, laissons tomber les compléments alimentaires et réhabilitons la gentillesse.
Le sujet de la gentillesse est vaste et va bien plus loin que les réflexions présentes dans cet article. Je suis presque certaine que j’y reviendrai.
Pour finir, je vous partage un petit exercice, à faire chaque jour, proposé par Christophe André, psychiatre et auteur toulousain.
- faire quelque chose pour un autre humain (un sourire, un réconfort, un don, une aide, une prière)
- faire quelque chose pour la Terre (l’admirer, la remercier, la protéger)
- faire quelque chose pour nous (nous accorder un moment de plaisir, de tranquillité, de sens, en pleine conscience) !
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Rédigé par : Ophélie